Cette saison, je me suis régalé, savourant le large où il m’emmenait et j’ai été reconnaissant de son attention à ne pas trop me fatiguer, ne pas me faire souffrir et à chaque arrivée, quel que soit l’heure ou le temps j’ai savouré le soin qu’il prenait à me refaire une beauté, à ferler et ranger mes voiles et à lover mes bouts.

Cette saison, on peut le dire, je l’ai bien remercié l’éric de ses bons soins tout au long de l’hiver, des beaux câbles tout brillants qu’il m’a offerts, alors je l’ai emmené loin, presque jusqu’aux étoiles.

Pour lui je me suis faufilé entre les mastodontes qui sillonnent la Manche, je suis allé mouiller ma belle ancre dans des baies superbes à l’eau azur, je me suis bagarré avec lui quand la mer était cruelle et puis je l’ai emmené retrouver les douceurs du sud où je me sens comme chez moi.

C’est lui qui le dit, j’suis un bon petit canot !

Il y a plus de vingt ans, un soir d’hiver il Ă©crivait un texte, une sorte de poĂ©sie dont je n’ai retenu qu’une ligne : « Il s’appellera Aurore, il sera rond et doux comme une femme, il volera jusqu’aux Ă©toiles Â» Et presque au mĂŞme instant, je tirais mes tout premiers bords du cĂ´tĂ© de Dunkerque.

Il y a des rencontres prédestinées, comme si nous étions faits l’un pour l’autre.

Je lui laisse la place maintenant, il va vous raconter notre belle aventure !


Petit journal de mer

Croisière en solitaire du 12 juillet au 4 août 2008 à bord d’Aurore, Bahia de 85, avant de retrouver ma skipette et reprendre la route du sud.

                    A Pierre-Yves


12 juillet

Comme prévu cette première journée devait être une étape facile, étape de remise en forme après de longs mois sans naviguer, pour retrouver l’océan et les mouvements du bateau à nouveau à flot.

Pour une première journée, c’est réussi !

Dix heures de près entre Le Crouesty et Port Tudy à Groix !

La première moitié du trajet, avec le passage de la Teignouse qui ferme la baie de Quiberon, contre un courant faible, est confortable jusqu’aux abords de Belle-Ile. Avec les sandows de huit millimètres, le pilote maison barre aussi bien que moi.

Peu après la sortie du Crouesty, je profite d’un bon près sans clapot pour peaufiner les réglages du gréement équipé de mes deux clés à molette reliées par une garcette. Une fois tout en ordre de marche, après le casse-croûte habituel dès que je sors en mer, avec une gorgée de rhum je trinque à nos retrouvailles marines.

A partir de Belle Ile, le vent fraîchit et le près devient vite très sportif. La direction du vent me permet une route directe, c’est déjà ça. Plus trop le temps de savourer l’océan, je change les sandows du pilote déjà bien tendus par ceux de dix mm mais il faut aller au charbon avec des changements de toile et les vagues qui claquent contre la coque pour finir en douche horizontale me remettent bien vite dans le bain…

Enfin bien fatigué par cette première étape, j’arrive à Port Tudy en début de soirée et, comme c’était prévisible, faute de place sur ponton, je suis dirigé par l’employé du port sur un coffre dans le fond de l’avant port.
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13 Juillet

Comme j’avais besoin de récupérer, après la journée d’hier et celle précédente sur la route, je ne pars qu’à neuf heures de Port Tudy. De toute façon il n’y a presque pas de vent, donc cela n’aurait servi à rien de partir tôt.

Malgré le peu de vent, je suis au près et dois tirer des bords…

Un bord laborieux jusqu’en face de Doëlan, puis un tout aussi long pour arriver à peine à la pointe nord de Groix…

Pendant les dernières semaines précédent le départ, j’avais prévu et étudié une seconde étape Groix/Audierne avec différentes stratégies de route en fonction de la direction du vent. Une étape un peu longue de soixante milles pour tester le bateau mais surtout le bonhomme à tenir le coup.

Avec cette pétole, je préfère abandonner cette idée car l’étape risque d’être vraiment longue. Je me résous à atteindre Concarneau, enfin je ne sais pas quand.

Le vent ne vient pas et je continue toujours au près et quand enfin je passe la pointe de Trévignon, je peux abattre un peu et faire route directe sur Concarneau que j’atteindrai un peu avant dix-neuf heures.

14 Juillet

Départ de Concarneau avec le soleil qui se lève timidement derrière un voile de nuage.

Le vent est toujours faible mais au moins portant pour me faufiler à travers les balises au sud de la côte. Juste une heure de route pour passer les principales, puis le vent tombe et pour me dégager de la dernière cardinale je me résous à passer au moteur avant de virer la pointe de Penmarc’h à la voile.
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Je suis à nouveau au près avec un vent bien faible et je me dirige lentement vers la pointe du raz. Vu ma vitesse, si j’avance quand même un peu je pourrais peut-être passer le raz avec l’étale du soir ?

Je n’ose pas trop y croire…

Mais non, panne de vent et sous un ciel couvert à dix neuf heures je comprends que je commence lentement mais surement à me faire refouler au sud par la renverse déjà passée.

Tout à coup sous le ciel sombre, par deux fois j’aperçois les ailerons d’une grosse bête nageant lentement.

Plus tard, avec des photos je comprendrais qu’il s’agissait d’un requin pèlerin en ballade comme parfois l’été dans ces coins-là. Ils ont beau être inoffensifs car se nourrissant de plancton ils peuvent atteindre douze mètres pour un poids de quatre tonnes. Pour mon petit canot, c’est gros !

Encore une fois je finis par me résigner et c’est au moteur que j’atteindrai le mouillage de Sainte Evette.
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15 Juillet

Route sur Camaret !

Enfin, avec du F 0/1, toujours au près, je n’avance encore une fois pas vite mais il faut que je sois Ă  l’heure pour passer le raz !

Re-bord au moteur pour m’approcher de lui puis passage à la voile de peur de déjauger au moteur.

Le temps est gris, légèrement brumeux, un peu inquiétant aussi mais l’heure est la bonne et il calme.
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Quinze minutes après le passage de la Plate (je n’avance pas vite) la mer est soudain complètement désordonnée avec des lames qui se forment n’importe où, comme d’une façon aléatoire, se croisent ou se heurtent. Mon petit canot bouchonne à travers d’elles mais passe sans soucis.

Enfin une petite brise revient et me permet un bon bord de près cap au nord me ménageant même une petite sieste en pointillé suivi d’un bord de portant qui m’emmène jusqu’à Camaret dorée au soleil qui baisse à l’horizon.

16 Juillet

Escale Ă  Camaret :

Avitaillement pour une grosse semaine, plein d’essence ( c’est intéressant de revenir du supermarché en se faufilant entre les touristes avec trente bons kilos dans le sac à dos et trois jerrycans d’essence dans deux mains…).

Je continue de préparer le bateau, peut-être pour demain :

Je vĂ©rifie une fois encore le grĂ©ement tout neuf, la fixation des nouvelles mains courantes sur la plage avant pour limiter la voltige pendant les changements de voiles, j’installe des sandows de diffĂ©rents diamètres Ă  poste près de la barre pour mon pilote maison, verrouille la baille Ă  mouillage par une sangle, le coffre de cockpit par un mousqueton, prĂ©pare le jerrycan et le bidon Ă©tanche de survie dans le carrĂ©, vĂ©rifie et « chatertonne Â» encore les fixations de haubans, filières poulies et palans divers, lis et relis encore la navigation d’atterrissage sur l’Angleterre et mĂŞme sur l’Aber Wrac’h au cas oĂą il faudrait partir en fuite et enfin me repose un peu.

Le soir, ma skipette au téléphone me lit les fichiers Grib de la zone Manche ouest que j’ai installé sur son aquarium :

Ça s’annonce bien ! trois jours d’ouest F 2/3 virant ensuite nord !

Avec ça pas de risque d’embrouille, alors, c’est décidé, je pars demain !

17 Juillet

Et voilĂ , je suis parti, cap sur les Scilly !!

A sept heures, je laisse derrière moi Camaret qui s’éveille et tire un premier bord puis un second en direction de la pointe Saint Mathieu.
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Mais le vent est toujours faible et je dois être à l’heure pour embouquer le chenal du Four et ne pas rater le flot.

Je remets donc le moteur en marche qui ronronne tranquillement mais ne me plaît pas.
A la pointe Saint Mathieu je le fais taire et m’engage dans le Four sous voiles en me laissant porter par le courant qui débute. J’avance très lentement puisqu’il n’y a presque plus de vent.
Au début c’est bien sympa et tranquille et en plus il fait beau et chaud pour la première fois. Je savoure cette douce glissade avec le courant mais déjà je sais que je suis en train de manger mon pain blanc…
Ma vitesse trop faible commence à m’inquiéter car à cause d’elle, je subirai plus longtemps que prévu le courant qui m’entraîne dans la Manche vers l’est. Il faudra en tenir compte pour l’estime.
En début de soirée le vent se lève Ouest-nord-ouest F 4/5 et l’ambiance à bord change vite puisque je ne suis plus protégé du large par Ouessant à l’ouest.
J’ai renfilé le ciré complet depuis un moment, capelé le harnais, le bateau avance vite mais gîte un peu trop.
Le vent fraĂ®chit encore et aux vagues d’une mer agitĂ©e Ă  forte s’ajoute maintenant une bonne houle venant du large. Il faut rĂ©duire encore d’autant plus que la nuit arrive. J’établis donc la voilure mini : foc 2 et GV 2 ris.
Comme le cap direct sur les Scilly est trop serré et que le bateau plante des pieux en retombant de chaque vague, je préfère abattre un peu pour rester au bon plein plus confortable, enfin surtout pour le bateau…
Mais comme je ne veux pas trop abattre non plus à cause de cette dérive à l’est alors je vais tenter d’atterrir sur Penzance.
Malgré l’allure, ça tape fort encore mais le petit canot réussit à se faire un chemin.
Pour moi c’est dur et ce n’est pas fini. C’est un peu une ambiance de machine Ă  laver : dehors programme lavage avec des paquets d’eau qui balayent le pont et Ă  l’intĂ©rieur, programme essorage quand il faudrait au moins quatre mains pour ne pas voltiger.
Comme à mon habitude, après les derniers changements de voiles qui m’ont bien secoué à l’avant, j’offre la cantine au poissons…
Harnais capelé très court, une main sur le palan d’écoute de GV, l’autre sur le rail de fargue, le front contre la sangle des filière et le visage tout près de l’eau noire bordée d’écume qui défile à tout vitesse le long de la coque. Des fois on se sent tout petit… mais je ne suis pas vaincu !
Bon , ça va mieux maintenant, il faut que je mange un truc pour la prochaine tournée !
Vu les conditions le menu sera simple : crĂŞpes en carton et lait condensĂ© sucrĂ© Ă  tĂ©ter directement au tube.

La nuit est bien là maintenant et le rythme ne change pas. Mon pilote, bien réglé avec ses sandows tendus à mi-longueur assure comme un chef et je n’ai pas besoin de barrer. Il fera ainsi pendant toute la traversée sans même avoir besoin d’un nouveau réglage.
Ça brasse toujours autant et je m’habitue . Je ne suis pas inquiet car la situation est stable, si on peut dire, et le bateau taille vaillamment sa route.
Grâce au pilote, je peux rester au sec à l’intérieur dans la position la moins inconfortable, couché en chien de fusil sur la bannette du carré avec dans le main tout près de l’oreille le minuteur de cuisine.
C’est gĂ©nial ce truc lĂ  ! mĂŞme pour cinq ou dix minutes je peux me laisser complètement aller.
Très régulièrement je sors la tête (le plus souvent à l’heure de la douche) pour un tour d’horizon de sécurité.
Comme le rail montant approche, dix minutes me semblent sûr tant que je ne vois rien.

VoilĂ , le rail est lĂ  ! Le premier cargo croise loin devant moi par le travers, il est minuit. Maintenant je règle la minuterie sur cinq minutes.
Driiiiing !
Je me réveille à nouveau et dix secondes après , juste le temps d’enfiler le bonnet de ma skipette laissé sur le bateau (faudra que je m’équipe), de verrouiller la capuche, je sors la tête par le capot coulissant.
Des lumières en vue, un peu partout mais la visibilité n’est pas excellente, les monstres ont des allures de sapin de Noël et il est difficile de distinguer une petite lumière verte, rouge, ou pire, une verte et une rouge !
J’essaie avec les jumelles, mais je ne réussis à voir que le ciel ou les vagues et de façon très fugitive…
Il faut que je m’applique surtout que, vu l’état de la mer je ne peux compter sur le moteur-ventilateur qui reste solidement capelé au balcon arrière. S’il faut manœuvrer cela sera donc à la voile.
Bon , je finis par les voir ces lumières vertes ou rouges et les premiers cargos passent derrière moi.
Encore loin pourtant, successivement deux cargos ont du me voir car ils se déroutent franchement de quelques degrés pour passer devant et derrière.
Fin du rail montant, récré, réglage de la minuterie sur dix minutes.

Rail descendant facile et sans rien faire. J’arrive juste après un train entier de cargos et je ne sais pas comment j’aurais fait si j’avais dû me glisser entre les wagons puis deux autres passent devant moi.
Voilà, il est trois heures, la Manche est libre maintenant même si ça cogne toujours autant.
Minuterie quinze minutes, du grand luxe !

Plus tard dans la nuit, avant une nouvelle grande sieste de quinze minutes, en renfilant ma veste de ciré après une utilisation acrobatique du seau qui me sert de toilettes, je voltige à l’intérieur au sommet d’une vague et la main droite qui devait me retenir, serrée sur le haut de la partie inférieure du panneau de descente toujours verrouillé, glisse et de tout mon poids je m’écrase contre mon pouce . Après une bordée d’injures bienvenue en de telles circonstances, je constate que mon pouce est devenu très douloureux, pas cassé à mon avis mais son ongle vire rapidement au rouge. Il faudra absolument que j’installe une poignée ou une main courante à l’intérieur !

Fin de nuit, j’approche du rail anglais alors je reprends mes cycles de cinq minutes. Mon articulation de pouce à bien enflée mais il bouge normalement même si douloureusement.
Le trafic semble beaucoup moins dense et je traverse sans aucun souci laissant passer loin devant puis derrière quelques monstres pas inquiétants.

A cause de la visibilité médiocre car un fin crachin s’est installé depuis quelques heures mais surtout des vagues bien hautes pour ma coque de noix au raz de l’eau, je n’ai vu aucun des grands phares d’atterrissage sur lesquels je comptais recaler mon estime. La simulation de somme des courants sur la base d’une traversée à trois nœuds devait me déporter de cinq milles à l’est mais plusieurs fois j’ai senti le bateau ardent lofer dans les rafales qui faisait vibrer fort la chute du foc pourtant bordé au plus plat. Avec le cap suivi en moyenne, je pense atterrir bientôt entre Land’s-end, la pointe ouest de l’Angleterre et la baie de Penzance. J’avais estimé mon temps de traversée à quarante heures environ.
Si par manque de visibilité je rate l’atterrissage sur l’Angleterre en passant trop à l’ouest, après quelques heures de plus sans rien voir je ferai alors cap à l’est pour m’avancer prudemment , reconnaître la côte pour savoir où je suis.

En fin de matinée, à travers le crachin, droit devant l’étrave, un phare isolé en mer !
Comme le rythme s’est un peu calmé, je réussi à l’attraper dans les jumelles pour mieux le reconnaître puis fouille dans mon pilote côtier.
Ça alors ! c’est exactement la mĂŞme silhouette haute et massive que Bishop Rocks, juste Ă  l’ouest des Scilly ! J’aurai donc lofĂ© tant que ça pendant la nuit ?

Avant toute autre action, après cette séance de lecture suivie d’une recherche de la carte de détail des Scilly que j’ai comme un idiot par inattention remise dans la caisse de cartes en stock, caisse en plastique emballée de deux sacs poubelle, au fond du coffre de la couchette qui s’enfile sous le cockpit forcément recouverte par plein de bazar, avant toute chose maintenant puisque j’ai retrouvé ma carte, j’offre un nouveau service à la cantine des poissons !

J’approche petit à petit de ce phare mais il reste toujours aussi flou mais je devrais bientôt voir la terre à l’est.
Terre !!
Je dĂ©cide d’abattre de dix degrĂ©s pour me rapprocher mais très vite j’ai l’impression puis la certitude que quelque chose cloche :
Cette terre est trop haute, et puis maintenant, je crois deviner une colline Ă  l’intĂ©rieur. Cela ne peut pas ĂŞtre les Scilly très basses sur l’eau, c’est donc l’Angleterre ! et le phare n’est pas Bishop Rocks mais Wolf Rocks presque Ă  mi distance de Land’s-end et des Scilly.

Une heure après environ sort du crachin la silhouette encore lointaine du phare de Longship juste à la pointe de Land’s-end. Je rectifie encore mon cap et me dirige alors vers la baie de Penzance et enfin, après trente-sept heures de mer, j’arrive dans le petit port de Newlyn où le harbour master en chemise blanche descend même de son mirador pour m’indiquer où m’amarrer à couple d’un voilier local au fond du port.

Sous le crachin je range le bateau avec soin, Ă´te enfin mon cirĂ© et lĂ , un festin m’attend : deux boĂ®tes de sardines Ă  l’huile avec des chips, depuis des heures que j’en rĂŞvais !!!
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19 Juillet

Escale de repos à Newlyn. Non par manque de sommeil puisque mes siestes en pointillé m’ont permis de ne pas creuser dans le capital sommeil mais plutôt à cause du rodéo qu’il a fallu supporter longtemps.

La première nuit est un peu décousue car même sans mon minuteur de cuisine je me réveille souvent et à cinq heures du matin j’ai l’impression d’en avoir terminé avec la nuit. Je me lève, déjeune comme à l’habitude puis vais faire un petit tour sur les quais où se préparent au départ les bateaux de pêche d’ici équipés d’une grande canne/grue sur chaque bord. Après mon petit tour, je retourne au bateau pour prolonger la nuit.

Plus tard je vais découvrir la petite ville qui surplombe le port . Ce n’est pas vraiment une vraie ville à ce que j’en ai vu mais plutôt un quartier commerçant au bout du port entouré et surplombé par des pavillons très coquets.
A chaque fois que je veux traverser une rue, il me faut bien réfléchir avec tous les chauffards qui roulent à gauche !
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20 Juillet

Pour arriver aux Scilly assez tôt et trouver facilement une bonne place au mouillage qui risque d’être encombré car nous sommes le week-end, je pars à huit heures de Newlyn.
Avec une bonne petite brise je longe la côte et comme je suis presque au portant je me fais plaisir avec le premier bord de spi de la saison. Sauf que le bord est un peu serré pour le spi symétrique et que la côte haute transforme le vent du nord en risées de directions désordonnées. A cause de cela le bateau est très ardent et les départs au lof se succèdent. Finalement, à l’issue du dernier qui finit en vrac avec le spi en torche en tête de mât, je remballe la lessive !
Je dépasse Land’s-end et prends un cap confortable au bon plein sur les Scilly.
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Je traverse bientôt sans soucis et toujours sous pilote le rail des cargos avec peu de trafic et une visibilité excellente.
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Je laisse la haute silhouette du grand phare de Wolf Rocks dans le sud et bientôt l’archipel apparaît puis se dessine à l’horizon !
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J’hésitais entre Port Cressa, au sud de St Mary’s et The Cove entre St Agnes et la petite île de Gugh et finalement après un passage devant le premier mouillage déjà bien encombré je choisis The Cove.
Je jette un coup d’œil de temps en temps sur la carte, mais depuis des mois que je prépare cette navigation, lis et relis pilote et guide anglais, je commence à connaître cette zone par cœur.

Je m’avance doucement dans la petite baie magnifique de The Cove, me faufile entre les quelques bateaux déjà là.

L’heure est idéale car un coup d’œil sur le graphique maison inspiré du marégraphe que j’ai préparé en juin me dit que j’arrive juste après la basse mer avec des coefficients qui diminuent.
Je libère le bout qui maintient la dérive et, flottante, elle remonte facilement dans son puits pour s’arrêter par un klong familier.
Avec les quarante-deux centimètres de tirant d’eau du bateau maintenant je peux m’approcher où je veux sans risque.
L’eau est d’une transparence incroyable et par dix mètres de fond je distingue clairement les nappes de sable, les algues et les rares cailloux.
Pour rester à l’abri d’un éventuel mais peu probable coup de vent de nord-ouest, je ne m’avance pas trop dans le fond de la baie mais préfère venir mouiller par deux mètres de fond plus près de St Agnes.
Je laisse descendre mon ancre de douze kilos en douceur et à l´aide d’une marche arrière au ralenti étale sur le fond vingt mètres de chaîne. Un coup de gaz pour bien crocher et maintenant je sais que ce mouillage est fiable.
Je range le bateau et heureux savoure d’être arrivé jusqu’ici !
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Faute de réseau dans ce mouillage je gonfle vite mon annexe pour rejoindre l’îlot de Gugh, escalade un gros blocs de rochers et peux donner de mes nouvelles pour partager un peu mon bonheur.
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21 Juillet

Après une bonne nuit sans même m’inquiéter de la tenue de l’ancre, je débarque à nouveau pour visiter St Agnes.
Sur la langue de sable qui recouvre Ă  marĂ©e haute reliant les deux Ă®les « The Bar Â» des vacanciers profitent dĂ©jĂ  du soleil chaud pendant que des enfants jouent dans l’eau.
L’île n’est pas grande et même en prenant tout mon temps une bonne demi-journée suffit à bien l’explorer.
Par moments comme sur toutes les îles, un tracteur emprunte la mini-route tirant une remorque chargée de bagages de touristes qui à pied arrivent peu après comme par vagues après chaque arrivée de navette venant de St Mary’s.

                De l’autre côté de The Bar, Port Conger avec au loin les îles Samson et Tresco

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               Le bureau de poste

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               La grande rue qui monte à l’ancien phare

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               La pointe sud Pidney Brow

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               Le coastguards café

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               Western Rocks avec au loin le phare de Bishop Rock

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               Le cimetière où repose un marin allemand, jamais rentré chez lui après le  naufrage du Schiller en 1928

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22 Juillet

Par vent très faible en remorquant l’annexe, je rejoins au moteur le mouillage de Port Cressa pas encore trop encombré dans la matinée puis débarque à nouveau après une bonne séance de nage à la rame.

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Rien ne semble avoir changé ici depuis plus de vingt ans. Je parcours la petite ville mais pourtant capitale de l’archipel,

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puis escalade encore des rochers surplombant Mary’s Pool, le port principal aménagé depuis quelques années avec des coffres car à cause des fonds de mauvaise tenue, les ancres dérapaient régulièrement par coup de NW et les bateaux allaient s’échouer sur la grève du canot de sauvetage. Haut perché je peux apercevoir de l’autre côté de la ville l’anse de Port Cressa où m’attend sagement mon petit canot.
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Ce sont les deux seules escales que j’ai prévues aux Scilly. Mary’s Pool ne me tente pas car le mouillage n’est pas protégé du Nord-ouest et de plus payant.
J’ai peur aussi de m’aventurer seul au milieu de l’archipel qui demande une navigation très précise par succession d’alignement de cailloux, bref un boulot à cent pour cent sans avoir à m’occuper de la bonne marche du bateau.

Après la ville et le port j’ai prévu le lendemain de partir explorer l’île.
Je rentre au bateau à l’heure de la météo sur France Inter que j’arrive à capter en grandes ondes. Celle de la BBC j’y ai renoncé, je ne comprends vraiment pas assez pour qu’elle me soit fiable.
Encore une fois, au téléphone, ma skipette me détaille les fichiers Grib :

Ce temps-là va changer à partir de cette nuit. Le vent d’ouest va virer Est puis Est-Sud-est, Sud et enfin Sud-ouest dans deux jours.
Craignant du Sud-ouest par lequel arrive la plupart des perturbations et ne me sentant pas vraiment en sécurité ici sur ces îlots dépourvus d’abris sûrs et enfin vu la taille de mon canot, je préfère ne pas prendre de risque et appareiller le lendemain.
Je dégonfle et range vite l’annexe, prépare le bateau et la navigation pour finir la journée.

23 Juillet

Au lever du jour, mais sans regret je laisse disparaître derrière moi ces îles magnifiques finalement peu hospitalières et je remets cap au sud.

Le vent à déjà tourné comme prévu et comme fait exprès la traversée de retour se fera au près. Le vent est établi Est-sud-est et restera ainsi et je me félicite de ne pas avoir de bords à tirer.
Bientôt le vent fraîchit avec un bon F 5. La houle est moins haute qu’à l’aller mais mon près est très serré et le bateau tape violemment en haut de chaque vague.

Je vise un cap sur l’Aber Wrac’h sachant qu’avec les courants j’arriverai probablement au nord d’Ouessant et comme je ne serai sûrement pas à l’heure pour le Four je passerai au large pour atteindre j’espère Morgat.

Encore une fois la traversée est dure à cause des coups contre les vagues. C’est toujours la même ambiance de machine à laver et je reste le plus possible à l’intérieur avec mon minuteur de cuisine dans la main.

Le passage des rails cette fois sera facile grâce à la très bonne visibilité et pour un seul cargo je devraisvirer de bord le temps de le laisser passer devant. Je profite aussi du passage du rail d’Ouessant pour vérifier la route des cargos et ainsi confirmer que je ne suis pas trop à l’ouest puisque ceux-ci doivent contourner Ouessant bien au large et mettre du sud dans leur ouest.
Tout va bien quand la nuit se termine juste à temps pour me laisser voir le puissant phare du Creach sur Ouessant droit devant alors que l’aurore me récompense de cette belle traversée.

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Je commence à distinguer le Nord de Ouessant quand le vent tombe, vire timidement au Sud-ouest et brusquement enveloppe tout d’une brume épaisse. Je ne m’inquiète pas car je suis encore loin des courants forts qui contournent Ouessant et puis je n’avance plus.
En effet, deux ou trois heures après je suis toujours au même endroit quand la brume se dissipe.
Le vent lui est toujours nul et je commence Ă  m’inquiĂ©ter : bientĂ´t la Manche et ses courants m’avaleront Ă  nouveau alors je me rĂ©signe Ă  faire encore tourner le moteur pour contourner l’île et m’arrĂŞter finalement dans la baie de Lampaul sur un coffre, cette fois trente-cinq heures après mon dĂ©part des Scilly.
Pour atteindre le fond de la baie je rase l’abeille Bourdon, gros remorqueur ici en stand bye, prêt à partir au secours des plus gros cargos en difficulté dans la Manche.

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25 Juillet

La sortie de la baie de Lampaul, à cause d’un gros clapot désordonné est difficile pour ensuite pouvoir faire route sur Morgat.
De plus, juste à la sortie de la baie, il me faut traverser le sud du fort courant du Fromveur, l’heure n’est pas idéale et le vent toujours bien faible.
A l’appareillage, de bonnes risĂ©es m’avaient fait craindre plus et me voici donc sous-toilĂ©. Le temps de renvoyer le gĂ©nois, me voici refoulĂ© sur le phare de la Jument !
Re-moteur pour me dĂ©gager puis Ă  nouveau sous voiles jusqu’à ce que je traverse une grande nappe d’algues flottantes : le bateau s’arrĂŞte, tourne sur lui-mĂŞme et repars vers la jument ! Moteur !...

Enfin un peu de vent à l’abri des dangers mais avec tout ce temps perdu je décide d’atteindre Camaret.
Quelques heures après, le vent portant tombe Ă  nouveau et Ă  force de ne pas avancer, c’est cette fois le jusant de la rade de Brest qui risque de me refouler ! Moteur jusqu’à Camaret que j’atteins sous la pluie.

26 Juillet

JournĂ©e d’escale Ă  Camaret :
Grande lessive, rangement du bateau, séchage dehors des coussins du carré, avitaillement puis enfin repos au soleil revenu.

27 Juillet

C’est reparti ! En route pour l’Aber Wrac’h ou peut-ĂŞtre plus loin !

A cause de la marée je dois partir à cinq heures le matin. Le vent est faible mais je réussis à traverser la moitié de l’avant-rade de Brest au près. Pour ne pas rater encore une fois le flot dans le Four, je remets en route le moteur jusqu’à la pointe saint Mathieu.
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Dans le chenal du Four, Ă  dĂ©river voiles pendantes en me faisant doubler par tous les bateaux aux moteurs…j’en ai marre ! Je ne vais quand mĂŞme pas passer ma journĂ©e au moteur ! (d’ailleurs je ne le pourrai pas faute d’essence)…
Allez, stop ! j’abats et rentre dans l’Aber Ildut que je voulais visiter.

C’est vraiment très beau une fois la passe franchie et lentement je me faufile entre les bateaux amarrés sur des bouées haltières, remonte la rivière et, surveillant le sondeur atteins le tout dernier coffre. Un rapide calcul me confirme qu’il restera assez d’eau pour moi à la basse ce soir.
Demi-journée bien tranquille, commencée par une sieste et terminée par le début de rédaction de ce journal de mer.
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28 Juillet

A nouveau départ tôt pour bénéficier du flot le plus longtemps possible.
Une fois sortie ou presque, le vent tombe à nouveau et je dérive plus qu’avance mais dans le bon sens au moins !
Le ciel se couvre, menace de grains qui finissent par arriver mais même pas accompagnés de vent.
C’est encore au moteur et sous la pluie que j’atteinds l’Aber Wrac’h.
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29 Juillet

La météo, via Ugrib et ma skipette annonce du Sud-ouest 20/25 nœuds pendant trois jours, puis 5/10 nœuds et à nouveau 15 à 20 nœuds.
Avec ce programme, je peux me faire une petite virée à Sercq à côté de Guernesey !
J’en avais envie déjà depuis mon départ de Camaret, pas pour y faire escale longtemps, mais juste pour le plaisir de la route.

Départ à huit heures de l’Aber Wrac’h et en route pour Guernesey à quatre-vingt-huit milles de là !
Enfin… c’était le programme…

L’allure est limite vent arrière, instable et le vent souffle un bon vingt-cinq nœuds et même au portant fait parfois siffler les haubans.
La mer est bien agitée avec une grosse houle sur l’arrière. Bref, je ne peux pas lâcher la barre plus de dix secondes car je dois sans cesse contrer de grandes embardées car le bateau est trop volage. Je pense un instant stabiliser un peu la route en naviguant sous foc seul, mais remonter au vent pour affaler la grand voile dans ces creux ne me fait pas envie du tout.
J’essaie de tenir bon ainsi avec ma voilure mini et de grands surfs sur la houle..
Dans ces conditions, je suis sûr qu’un petit pilote classique serait mort en moins d’une heure. Moi je tiens plus longtemps mais je sens tout de même que ce rythme me fatigue beaucoup.

Vers quatorze heures, apercevant par le travers le phare de l’île de Batz, je décide par prudence d’abandonner mon idée de Guernesey et de me dérouter sur Roscoff que j’avais prévu comme abri de secours.
Dans ces conditions difficiles, je ressors la bonne carte et essaie d’étudier avec le pilote côtier l’approche de Roscoff que je ne connais pas.
En avançant comme cela, j’y serais à la pleine, ce qui est idéale car c’est un port d’échouage mais tous les cailloux à l’entrée me font peur. Le balisage est précis mais je manque un peu de sérénité pour étudier cela.

Après cette séance de navigation en pointillés avec des retours express à la barre pour rattraper le bateau parti en vrac, je suis bon pour une nouvelle tournée à la cantine des poissons…
Le port approche, le balisage est bon mais j’ai du mal a les trouver ces fichues balises !
Jumelles à la main, pilote à la main, barre à la main sous des petites douches puisque j’avance maintenant au bon plein, j’avance un peu stressé vers l’inconnu.

L’approche finale est difficile avec le moteur-ventilateur dans le clapot et finalement je vais prendre un coffre, probablement privé mais libre dans l’avant port. Plus tard dans la soirée le bateau se pose sur le sable plat et ferme idéale pour les béquilles.
Voilà, il n’y a plus d’eau, personne ne viendra maintenant me réclamer la place, je peux passer une bonne nuit.
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30 Juillet

A cause encore de la marée, je sors de Roscoff à sept heures avec la même voilure mini que la veille. Cela souffle moins qu’hier et la mer s’est bien calmée mais j’ai envie d’une journée pépère pour profiter de la belle journée qui s’annonce et de la chaleur timide malgré le ciel tout bleu.
Au bout d’un moment, forcément, je trouve ma voilure ridicule. Je largue les ris, envoie le génois, le bateau reprend vie et approche en fin de matinée de l’archipel des sept îles.

J’avais prévu une escale à Port Blanc, une petite anse en eau profonde, sûre par vent de secteur sud-ouest juste à l’ouest de Perros Guirec mais je découvre dans le pilote la petite baie de Ploumanac’h qu’il ne faut paraît-il pas manquer. Il est un peu tôt pour s’arrêter déjà mais cela serait dommage de passer devant ce petit coin avant demain de repartir vers l’ouest.

Après une erreur de navigation, car j’ai du mal à m’y retrouver dans ces gros blocs de granit rose, qui m’a fait entrer dans le chenal de la baie de Trégastel, (chenal fort ressemblant dans son descriptif à l’exception du château sur la colline que j’avais oublié parce que je prenais des photos), je ressors et entre délicatement, dérive relevée dans le chenal car seulement une heure trente après la basse mer.
Le chenal passe enfin sur un seuil découvrant de deux mètres cinquante et m’ouvre l’accès au petit port de Ploumanac’h, vraiment pittoresque.
C’est tellement beau que je ne regrette plus d’avoir un peu raccourcis mon étape.
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31 Juillet

La préparation de la navigation a été difficile hier soir :
Il y a la contrainte de l’heure de sortie de Ploumanac’h, l’heure du jusant à prendre une fois sorti et le vent de Sud-ouest F 4/5 annoncé.
Je risque d’aller vite et d’arriver beaucoup trop tôt à Roscoff (autour de quatorze heures pour une rentrée possible à partir de seize heures trente).
Continuer jusqu’à l’Aber Wrac’h? C’est tentant , je bénéficierai ainsi de tout le jusant, mais risque d’arriver en fin de journée, avec une faible visibilité s´il y a du crachin comme chaque soir en ce moment, avec déjà un courant de flot traversier en marche et avec de la mer que mon moteur-ventilateur n’aime pas…
Trop risqué, je préfère me limiter à Roscoff et j’attendrai avant de rentrer.

Le départ est facile mais très vite le vent tombe une fois encore. Le jusant commence à peine et je ne fais que dériver au sud des sept îles. Au moins il fait beau mais toujours pas très chaud.
Je me satisfais d’avoir choisi cette option car avec cette pétole l’Aber Wrac’h est inaccessible aujourd’hui.
Le courant m’entraîne très lentement puis un peu de vent en route directe au près.
Le vent est toujours faible mais la mer agitée avec de la houle venue de l’Atlantique alors qu’elle n’était annoncée que sur la pointe de Bretagne.

Enfin j’approche de Roscoff, pas si en avance que cela avec le temps perdu. La visibilité est à nouveau faible sous le crachin et le près sportif à cause de la mer.

L’autre jour, en sortant, j’avais repéré des coffres devant l’entrée . S’il y en a un de libre j’attendrai là et je prépare mon bout-crochet pour coffre mais aussi le mouillage si aucun coffre n’est disponible.
Préparer une biture avec une bonne gîte quand l’étrave plonge dans les vagues n’est pas une partie de plaisir…
Enfin tout est paré et je peux m’approcher doucement et je repère un coffre que j’attrape.
Le temps de ranger le bateau et il y a déjà assez d’eau pour aller m’amarrer à quai au fond du vieux port.
Après une petite ballade dans la vieille ville, je reviens au bateau surveiller l’échouage sans souci.
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1er Août

Départ à sept heures à cause de la faible hauteur d’eau au fond du port et en route pour l’Aber Wrac’h !
A peine sorti, au lieu de mon casse-croĂ»te habituel, je suis cueilli par un grain : Changement de foc, prise du second ris, cantine aux poissons…
Ça avance pas mal malgré la mer bien agitée et la houle, au près, mais il faudra tirer des bords.
Tirer des bords, je repense une fois de plus au dicton : deux fois la route, trois fois le temps, quatre fois la fatigue…
Je tire donc des bords dans le mer bien creuse. Je ne sais pas évaluer la hauteur de la houle, mais des fois, derrière le bateau, il y a de sacrément grands trous !

A cause de la mer d’autant moins sympa que le vent souffle contre le courant je n’avance pas vite, c’est- à -dire que je prends du retard. Heureusement avec les grands coefficients de marée, j’avance.
J’avance… pour l’instant…

L’île Vierge et son grand phare sont bien visibles maintenant. Il est quinze heures, plus que deux ou trois milles pour embouquer le chenal de l’Aber Wrac’h.
Sauf que …je n’étale plus ! Un bord Ă  l’ouest, un bord au sud, je recule !!!
Vu l’état de la mer, le moteur est inutilisable. Il n’y a aucun autre abri accessible à cette heure à cause de la marée et des conditions. Pas d’autre solution que d’attendre en tirant des bords pour reculer le moins possible… !

W, S, W, S, W, S etc. pendant des heures sans même voir aucun autre bateau (ils ne sont pas fous les autres…).
Enfin, fin de flot aidant, j’étale ! Je gagne un peu ! J’avance !!
Je peux enfin me prĂ©senter Ă  l’entrĂ©e du chenal mais dans les conditions les pires que je voulais prudemment Ă©viter l’autre jour :
courant traversier, crachin d’enfer et visibilité presque nulle !

Je tournicote un peu devant l’entrée et par chance parviens à apercevoir la grosse tourelle du Petit Pot de Beurre à mi-chenal. Compas de relèvement à la main pour corriger la dérive, je m’enfile dans le chenal en direction de la tourelle. Pourvu qu’elle ne disparaisse pas !
Arrivé à sa hauteur, je distingue des balises latérales vertes et les premières lumières s’allument sur le port. A leur tour, les premiers feux s’allument mais je n’en ai plus besoin.
Il est vingt et une heures, sous la pluie et vanné, j’amarre le canot contre le brise clapot de l’Aber Wrac’h et pour la première fois, sans rien ranger, me réfugie dans le bateau.
Traveler

2 Août

En route pour l’Aber Ildut car au près dans une mer agitée avec des bords à tirer et du F 4/5 de Sud-ouest annoncé je ne pourrai pas être à l’étale de basse mer à la pointe St Mathieu , sortie du chenal du Four pour rejoindre Camaret.
Départ prévu à sept heures à la pleine pour attraper le jusant. Tout est prêt à larguer mais le crachin revenu bouche tout. Je ne vois rien du chenal donc renonce à m’engager ainsi entre les cailloux.
Deux heures plus tard, ça se dégage juste un peu et avec d’autres bateaux j’y vais..
Ça souffle bien encore mais j’ai la toile du temps.
Sous GV et au moteur je m’engage dans le chenal. A peine dépassé le Petit Pot de Beurre, le clapot fait souffrir le moteur. Celui-ci déjauge souvent puis cale et refuse tout simplement de redémarrer !
A toute vitesse j’envoie le foc et constate qu’il y a en fait très peu de vent et que je suis sous-toilé.
Je largue très vite le ris de la GV et, en tirant des bords avec l’aide du courant je sors du chenal.
Le vent faiblit encore, je remplace le foc par le génois mais avance mal contre une mer désordonnée. Le courant me porte toujours mais de moins en moins vite.

ArrivĂ© au nord du phare du Four, je vois dĂ©jĂ  le scĂ©nario qui s’annonce : bientĂ´t Ă  nouveau je n’étalerai plus mais avec un coefficient de marĂ©e de cent, aucune chance de ne pas trop reculer, l’issue ne serait qu’un retour Ă  l’Aber Wrac’h !!
Pfffft ! ça m’énerve la Manche inaccessible sans un in-board !!

Avec du mal , j’arrive juste à la hauteur du phare sur mon bord de Sud et là, je suppose déjà protégée par Ouessant au large, la mer s’aplanit et je tente l’option moteur.
Sauf que je n’ai plus beaucoup d’essence dans la nourrice, au pif, cinq ou six litres et un dernier jerrycan de cinq litres. Le moteur avance pas trop mal, sans souffrir, à bas régime pour l’économiser, pas trop bas tout de même car je sais que bientôt j’aurai du jus dans le pif.
En route je vide mes cinq derniers litres dans la nourrice et espère que cela passera.

Ca passe ! et enfin j’entre dans l’Aber Ildut en dĂ©but d’après-midi avec le moteur qui ne tient plus ses tours et cale dès que je lui demande plus de gaz.
Une fois amarré sur coffre, je refais des essais et tout semble normal, mais je n’ai plus confiance.

3 Août

Après un calcul pour estimer ma vitesse en descendant le chenal du Four pour en sortir à l’étale de basse mer, je décide de partir à dix heures.
Comme j’ai peur de me faire refouler une fois de plus par le courant, je prends de la marge et préfère partir plus tôt, quitte à me faire brasser un peu dans le passage final le plus étroit du chenal où la mer se lève vite avec le vent contre le courant.
Je pars donc à neuf heures et comme la veille, le moteur ne tient pas ses tours et c’est sur la pointe des pieds, moteur à l’extrême ralenti que je sors de l’Aber Ildut. GV haute, face au vent , je sais que je n’ai pas de place s’il faut tirer des bords dans ce passage étroit entre les cailloux. Je suis anxieux et progresse pourtant doucement pour enfin retrouver l’eau libre.

Je tire un premier bord à l’ouest assez loin pour pouvoir descendre le chenal au vent, avec un vent pas bien fort.
Pendant ce premier bord, les flotteurs de casiers me permettent d’apprécier ma dérive vers le sud puisque je suis déjà à mi-marée. Voilà, je suis bien placé dans le chenal et devrais pouvoir le descendre sur le même bord.
Je vire et brusquement, tout se bouche, se masque de brume.

Bon, ce n’est pas grave, le passage est large, tous les bateaux silencieux vont dans le même sens, je n’ai qu’à m’appliquer sur mon bord en surveillant le compas. Je ne vois absolument rien, mais de toute façon je ne peux rien faire d’autre, je suis déjà monté sur le tapis roulant. A cause de la dérive importante, le vent est plus pointu mais ça devrait passer quand même grâce à ma position de départ.
Les voiles portent bien, le cap est bon, il n’y a qu’a fouiller dans la brume d’éventuels autres bateaux.
A toute vitesse je croise une balise qui disparaît bien vite. Ok je suis toujours bien placé.
Quand je pense approcher du passage le plus étroit, là où le courant atteint aujourd’hui avec un coefficient de cent la vitesse de cinq nœuds, une brève éclaircie me permet d’apercevoir la grosse tourelle de la Vinotière, alors j’en profite pour retirer un bord à l’ouest et avoir ainsi plus de marge.

Tout est bouché à nouveau quand j’entends d’abord puis vois l’espace de quelques secondes un Zodiac semblant poursuivre un banc d’une trentaine de dauphins nageant vers Molène.
Encore par chance, j’aperçois la dernière tourelle de la pointe St Mathieu que j’attendais qui marque la sortie du chenal et subitement la mer devient désordonnée. Le bateau bouchonne à nouveau dans tous les sens mais maintient à peu près son cap.
Je ne vois absolument rien alors estime un cap plus portant pour contrer avec plus de vitesse la fin du jusant de la rade de Brest qui tend à m’en éloigner alors que je veux atteindre Camaret.
Par trois fois surgissent comme des fantĂ´mes des voiliers au moteur, sur la mĂŞme route mais en sens inverse pour attraper le flot qui va bientĂ´t commencer dans le Four.
Dans la purĂ©e j’avance et tombe pile sur les deux balises prĂ©vues par mon estime qui me paraissait « Ă  la louche ».

Un peu plus tard, brusquement, en quelques secondes sur bâbord et tribord en mĂŞme temps de hautes falaises apparaissent toutes proches ! C’est impressionnant de voir ainsi la terre jaillir de nulle part. J’ai juste le temps d’apercevoir le clocher de la chapelle sur le port et tout redevient blanc.

Je prépare le bateau pour l’arrivée, sans faire trop attention à mon cap, mais plutôt aux autres voiliers qui tournent aussi attendant une éclaircie pour entrer. Quand tout est prêt, je me suis un peu perdu dans l’anse de Camaret, puis je retrouve la terre, une haute falaise, mais en la longeant à distance vers le nord, je comprends où je suis. Je corrige mon cap et m’approche doucement du port qui sort enfin de la brume.

4 Août

A nouveau escale Ă  Camaret et grand nettoyage.

Ce soir , c’est la fĂŞte ! Ma skipette chĂ©rie après onze heures de train puis de bus vient me retrouver !!
Avec elle on redescendra tranquillement vers la Bretagne sud, « qui voit Groix voit sa joie », les Ă®les du Morbihan , le Golfe , Noirmoutier et peut-ĂŞtre jusqu’à Yeu encore si le temps le permet. Encore trois belles semaines en perspective !

Mais avant , forcément il y a du boulot !
Déjà la douche pour moi, la laverie pour mes habits qui en ont bien besoin, puis lavage du bateau, séchage des coussins du carré, nettoyage méticuleux des bougies du moteur qui retrouvera une nouvelle jeunesse, avitaillement gourmand/gourmet et pleins en liquides de tous genres !



Dix-neuf heures trente : un bus bariolĂ© descend de la colline et s’arrĂŞte sur le port.
Voila enfin ma skipette !!
Traveler                       Traveler




           Carte issue du "petit catalogue" de l'incontournable site du SHOM: http://www.shom.fr/index.htm

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          Épilogue 


En attendant la fin de l’après-midi, à dix-huit heures, soudain sonne mon portable.
Dans la douleur partagée, j’apprends que Pierre-Yves est parti naviguer ce matin, pour très loin et pour toujours.
Pendant toute la fin de cette saison il sera là, près de nous pour savourer encore ensemble l’océan.


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